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Célébration du Mois de l’histoire des Noirs : faites connaissance avec Greg Arkhurst

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En l’honneur du Mois de l’histoire des Noirs, Natation Canada prend le temps de célébrer les contributions et les réalisations des nageurs et des entraineurs canadiens noirs de notre communauté.

Faites la connaissance de Greg Arkhurst, entraineur-chef du club CAMO de Montréal, où il entraine des nageurs comme la médaillée olympique Katerine Savard. Arkhurst est né en Côte d’Ivoire, mais a passé son adolescence à Paris avant d’émigrer au Canada. Il a représenté la Côte d’Ivoire à deux reprises aux Jeux olympiques, dont une fois en tant que résident du Canada, avant de prendre sa retraite de la compétition après les Championnats du monde de la FINA tenus en 2005 à Montréal. L’année dernière, il faisait partie du personnel d’entraineurs de l’équipe canadienne aux Championnats du monde de natation de la FINA (25 m) tenus à Abou Dhabi, où l’équipe a obtenu sa meilleure récolte de l’histoire du Canada. Il serait le premier entraineur noir de l’équipe nationale du Canada. Nous l’avons rejoint récemment pour discuter de son parcours d’Abidjan à Montréal et lui demander de partager certaines des leçons qu’il a apprises en cours de route.

S’il y a de l’eau, on nage.

Comment avez-vous commencé à nager ?

J’aime ce sport à cause d’un homme, un ami de mes parents en Côte d’Ivoire. C’était un Français du nom d’Andrew qui était toujours avec nous et qui aimait le sport. Il est décédé aujourd’hui, mais quand on est enfant, il y a toujours des gens l’on admire. Andrew était un athlète impressionnant, un homme gentil, à la parole facile. Il m’impressionnait, tout simplement. Nous faisions tout ensemble et nous avons passé du bon temps. Un jour, nous nous amusions à faire la course dans une lagune en Côte d’Ivoire. Il m’a regardé et m’a dit : « Wow, tu serais un bon nageur. » Ce n’était pas rien qu’il me dise que j’étais bon dans quelque chose, et c’est ainsi que je suis tombé amoureux de l’eau et m’y suis consacré. Avec trois ou quatre autres gars, quand nous trouvions une lagune, nous faisions une course. Il m’a dit : « Tu devrais nager », et je me suis lancé.

À quoi ressemblait le fait de « se lancer » à Abidjan à cette époque?

Je m’entrainais deux fois par semaine au sein d’un petit club. Mes parents ne voulaient pas m’y conduire, alors je prenais le bus. Les conditions d’entrainement sont, comment dire… J’ai appris à m’adapter grâce à ces conditions. On s’adapte à ce qu’on a. S’il y a de l’eau, on nage. S’il y a 10 personnes, 20 personnes, 30 personnes par couloir, on y survit. Je ne pensais à rien d’autre. Là-bas, l’atmosphère des compétitions était très, très différente [de celle au Canada]. J’ai participé à ma première compétition à 11 ans, et j’ai gagné quelques compétitions, quelques championnats nationaux juniors. Nous avions une piscine de 25 mètres et nous nagions parfois dans la piscine d’un hôtel. Il y avait une bonne piscine de 50 mètres en Côte d’Ivoire. Maintenant il y en a plusieurs, mais à l’époque il y en avait peu. Les couloirs avaient simplement des cordes, c’était une piscine de 25 m à 4 couloirs avec beaucoup de vagues. Les chiffres de l’horloge étaient peints à la main. La camaraderie et le partage des chambres lors des compétitions, avec six ou huit personnes par chambre… C’était très, très intéressant. Parfois, on ne pouvait même pas voir le fond de la piscine ou on ne pouvait pas nager pendant deux mois parce que la piscine était brisée et qu’on ne pouvait pas la réparer. Il n’y avait pas d’activation au bord de la piscine.

Avez-vous pratiqué d’autres sports?

J’ai aussi fait de l’athlétisme, du tennis et du basketball aussi. Je pratiquais beaucoup de sports. Dans les sports collectifs, on peut jouer un match extraordinaire, bien défendre, marquer des points, mais quand même perdre. Ou bien, on joue mal et on gagne. Ça me posait un problème. J’aime la responsabilité qui vient avec le fait de concourir seul. J’adore le soccer et tous ces sports, mais je voulais nager.

Qu’est-il arrivé pour que vous déménagiez à Paris et finalement au Canada?

J’ai nagé aux Jeux olympiques de 2000, où j’y ai rencontré ma femme. En 2004, je suis venu au Canada en tant qu’immigrant et maintenant, je suis ici.

Quand mes parents se sont divorcés, j’ai dû déménager à Paris à 13 ans. Je suis arrivé en pensant que j’étais le champion du monde. Mes amis m’ont envoyé à Clichy. Mon premier entraineur, Serge Leclaire, m’a dit : « OK, il faut que tu apprennes tout depuis le début. » Mais j’ai travaillé dur, très dur, et j’ai été le seul de ce groupe à participer aux championnats nationaux français. J’ai continué à nager, puis j’ai eu l’occasion de nager pour la Côte d’Ivoire et tout s’est enchainé. J’ai nagé aux Jeux olympiques de 2000, où j’y ai rencontré ma femme. En 2004, je suis venu au Canada en tant qu’immigrant et maintenant, je suis ici.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de votre carrière de nageur?

En Afrique, à plusieurs reprises, on m’a promis que j’allais participer à divers championnats. Je faisais tout pour y aller, et quand c’était le temps d’y aller, on appelait pour dire qu’il n’y avait pas d’argent ou qu’un autre sport y allait. J’ai connu beaucoup de déceptions de ce genre. Lorsque j’ai su que j’irais à mes premiers Jeux olympiques, je me disais que j’y croirais quand j’y serais vraiment. C’est ce que je disais aussi à mes coéquipiers, au village. J’avais mon accréditation, mais je me disais que j’y croirais quand je serais à la cérémonie d’ouverture. Cette cérémonie d’ouverture, celle de 2000, je m’en souviendrai toute ma vie. C’était magnifique. L’atmosphère était, wow, les vibrations étaient incroyables. L’entrée, la danse, et la camaraderie, comme notre équipe était toute petite, était très bonne. J’y ai vécu beaucoup de joie. La deuxième fois, c’était juste avant ma course aux Jeux olympiques. Je suis dans la chambre d’appel et j’aperçois Eric Moussambani. Je me sentais très, très nerveux. Et voir ce gars performer à ce niveau et recevoir tout ce soutien m’a ramené à mon niveau et j’ai apprécié ces moments, avant, pendant et après la course.

Vous avez rencontré votre femme, Jana Salat, double médaillée, à ces Jeux. Comment vous êtes-vous rencontrés?

Je l’ai rencontrée à la fin des Jeux olympiques. Elle faisait partie de l’équipe de water-polo du Canada. J’avais pris le mauvais autobus. J’allais à la piscine et j’avais pris l’autobus qui allait au site de compétition du water-polo. Je suis sociable et pas timide. Alors, je suis allée voir ces filles et je leur ai demandé si j’étais dans le mauvais bus. Mon anglais était très, très mauvais à l’époque. Elles ont ri, mais elles étaient québécoises. Jana était parmi elles. Nous sommes revus environ trois jours après. Maintenant je suis là, voilà.

Comment avez-vous gardé le contact avec elle et avez-vous fini par émigrer au Canada?

J’ai obtenu mon diplôme d’entraineur en France et j’ai eu la possibilité de travailler à l’étranger et d’être entraineur dans un programme sport-étude. En 2000, mon projet était de partir dans un pays étranger, peut-être une école française dans une culture étrangère. Mais j’ai décidé de continuer à nager pendant quatre autres années. Je suis venu ici pendant deux ans, et j’ai finalement décidé d’immigrer. En 2001, j’ai rencontré Claude St-Jean [entraineur-chef de CAMO à cette époque-là]. J’ai décidé de nager pour lui et de travailler un peu pour CAMO, c’est venu tout naturellement. Une fois arrivé ici, les deux premières années, je vivais seul dans un appartement, car je voulais être sûr que j’étais ici pour les bonnes raisons. J’ai décidé d’en faire plus comme entraineur, alors j’ai suivi la formation pour obtenir mon équivalence ici au Canada. J’ai rencontré des gens de la communauté canadienne de natation. Lorsque j’ai terminé ma carrière de nageur aux Championnats du monde de la FINA en 2005 à Montréal, j’avais été entraineur des nageurs maitres de CAMO au cours des deux ou trois années précédentes. Je me suis joint à un petit club de Saint-Lambert, le Blue Machine, je me suis fait connaitre et je suis revenu à CAMO en 2009.

Comment l’encadrement des athlètes se compare-t-il à la pratique de la natation?

J’aime ce que je fais et je pense que je suis encore plus heureux d’être entraineur.

Les deux sont agréables, mais ce sont des postes différents. Je suis un peu philosophe à ce sujet. Quand on est un athlète, on crée une performance chaque fois qu’on monte sur les blocs de départ. On crée quelque chose. Chaque fois, la performance créée sera différente. Chaque fois, on devra créer la meilleure performance possible avec les outils et les compétences qu’on a développés. Maintenant, je ne crée pas la performance parce que je ne la vis pas en tant que nageur. Mais je crée les outils pour que les nageurs soient capables de réaliser leur propre performance. C’est aussi très agréable de pouvoir les aider dans tous les aspects de leur performance. J’aime ce que je fais et je pense que je suis encore plus heureux d’être entraineur. C’est peut-être parce que je vieillis et, probablement, parce que je m’assagis, mais j’essaie d’en profiter. Parfois, c’est bien de simplement les regarder, de réaliser combien c’est merveilleux de les voir évoluer, de les voir s’exprimer par leur entrainement. Ce sont réellement des compétences différentes.

Vous êtes devenu l’entraineur-chef de CAMO après les Essais de l’année dernière. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?

C’est quelque chose dont je suis très, très fier, car, selon moi, c’est le résultat d’un travail acharné et d’une grande constance dans les résultats que j’ai pu apporter à CAMO. J’aurais pu avoir des occasions avant, mais j’ai toujours voulu avoir une chance de le faire à CAMO. Nous avons de très bonnes conditions d’entrainement, une bonne relation avec la ville, et nous avons créé une culture de haute performance, alors je voulais vraiment, vraiment essayer. J’essaie de maintenir cet environnement et de l’amener au niveau supérieur ou, du moins, de maintenir cet esprit de la haute performance. Je suis très, très enthousiaste. Et depuis Abou Dhabi, j’ai encore plus faim et je suis extrêmement motivé à travailler, à utiliser tout ce que le centre Claude-Robillard a à offrir et à essayer de former les meilleurs athlètes possible. Je sais que je dois être patient. Former de bons nageurs prend du temps. Nous avons de bons nageurs plus âgés, comme Katerine Savard et Mary-Sophie Harvey, mais aussi de bons jeunes nageurs en devenir. Nous avons un bon mélange pour créer une culture de la victoire.

L’an dernier, vous faisiez partie de l’équipe d’entraineurs du Canada pour les Championnats du monde de la FINA (25 m) à Abou Dhabi. On pense que vous êtes le premier entraineur noir de l’équipe nationale, quelle importance cela revêt-il pour vous?

Si je peux inspirer d’autres entraineurs de couleur à se lancer dans ce genre de travail et à essayer d’être performants dans le milieu de la natation, j’en serai très, très heureux pour notre sport. Je sais que c’est un sport où il n’y a pas beaucoup d’entraineurs noirs, mais si je peux aider d’autres entraineurs à dire que c’est possible, tout peut arriver. Si j’ai ouvert la porte, peut-être que la porte peut être ouverte pour eux. Mais je ne pense pas que j’étais là parce que je suis noir. Je pense que c’est parce que je suis un bon entraineur et que j’ai fait du bon travail. Je veux être connu pour mes compétences et non pour mon apparence.

Avez-vous rencontré des obstacles liés à votre apparence?

Aujourd’hui encore, c’est parfois surprenant. On ne sait pas d’où ça vient, mais on entend des choses comme « les Noirs ne flottent pas » ou « un entraineur noir n’est pas censé entrainer la natation, il est censé entrainer le basketball ou l’athlétisme ». C’est l’impression que certaines personnes ont. Le racisme, les gens vont vous faire sentir que vous êtes différent. C’était vrai quand j’étais nageur, je l’ai vécu en tant qu’entraineur, et je le vis encore. Mais le mieux qu’on puisse faire, c’est de s’en servir comme carburant, de le transformer en énergie positive et de se préoccuper des personnes qui se soucient vraiment de vous. Il n’y a plus rien que nous ne puissions changer. Je me sens très, très bien accepté par ma communauté ici, par mes nageurs, mais je sais que, bien sûr, il y a des gens qui sont contre quelque chose. Parfois, ça fait mal parce que c’est injuste. Il y a beaucoup d’injustice parfois, mais rien n’est juste dans ce monde, alors il faut juste essayer d’avaler et d’aller de l’avant. Je ne me considère jamais comme une victime. Quand il est temps de dire « stop, ça suffit » – et c’est arrivé quelques fois – les gens comprennent le message et ça ne se reproduit jamais après. Quand je travaille, je ne vois pas la couleur des gens. Ça me dérange que les gens aient du mal à voir de cette façon. Il n’y a qu’une seule race, la race humaine. Ma femme est slovaque, donc mes enfants, c’est un mélange de tout.

Avez-vous un modèle, quelqu’un que vous admirez?

Quand j’étais jeune, mon modèle était Michael Jordan. Son attitude, son amour du jeu et de la compétition contre les meilleurs, et le fait qu’il tirait le meilleur de ses adversaires pour jouer contre eux. C’était formidable à regarder. Je dois dire que j’ai pleuré lorsque j’ai regardé The Last Dance. C’était mon idole, et pouvoir partager ces moments avec [mes] fils qui ne savent pas grand-chose de lui était agréable parce qu’ils aiment le sport et posent des questions. Ils ont envie d’en savoir plus et de fouiller dans les livres que j’ai de lui à la maison.

Qu’est-ce que vous aimez faire en dehors de la piscine?

J’ai un compte Instagram en noir et blanc. Je fais beaucoup de portraits dans les rues. J’arrête des gens au hasard et je leur demande si je peux les prendre en photo. J’essaie de voir des trucs que personne ne peut voir. Je vois une bonne photo se présenter. Il y a peut-être un lien direct avec ce que nous faisons en tant qu’entraineur. Observer autant m’aide probablement. J’aimerais faire une exposition un jour. Et j’ai lancé un balado parce que je voulais continuer à apprendre pendant la COVID et être créatif. Je voulais échanger avec des entraineurs et différentes personnes en dehors du sport : culture, cinéma, peu importe. Ces gens sont des personnes de haut niveau, et c’est inspirant d’apprendre d’eux et de savoir comment ils se sont développés. Ils sont confrontés à la victoire, à de bonnes et de mauvaises personnes. Si je ne l’avais pas fait, je ne sais pas ce que j’aurais trouvé pour rester en bonne santé. En plus du sport, j’aime courir et j’aime lire.

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Avez-vous de bons livres à recommander?

They Came Before Columbus (d’Ivan Van Sertima). C’est un livre d’anthropologie sur les Noirs. C’est très intéressant parce qu’historiquement, beaucoup de gens pensent que les premiers Noirs d’Amérique sont arrivés par l’esclavage, mais ce n’est pas vrai. Les Noirs avaient le pouvoir de voyager et le courant pouvait les amener facilement. C’est une histoire vraie, et de nombreux historiens le savent.

Qu’est-ce que vous aimez le plus de la natation?

Être le témoin des créations que les athlètes vont faire. C’est une très belle réalisation. En faire partie, les aider à donner le meilleur d’eux-mêmes en tant qu’athlètes et apprécier vraiment beaucoup le processus. Bien sûr, j’aime les compétitions, mais les voir grandir, s’approprier le processus et l’adopter, c’est magnifique à regarder.

Que souhaitez-vous pour l’avenir de notre sport?

Être accepté pour ce qu’on peut faire et ce qu’on peut apporter à un moment précis, plus que pour ce qu’on représente. J’aimerais le voir aussi dans la société en général. C’est déjà mieux qu’avant, et j’espère que ça continuera de changer.

Note : L’entrevue a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté.